Management des projets et
transformation de lentreprise
Christophe Midler
Synthèse de Laurent Verdon
DESS Contrôle de Gestion année 1998-1999
Sommaire
*Introduction
*Partie 1 Le développement de la Twingo
*I Lidentification des besoins
*II La forte personnalité de la Twingo
*A. Les contraintes
*B. Les solutions retenues
*III Linfluence des lenvironnement sur le déroulement du projet
*A. Les difficultés économiques et sociales de Renault
*B. A la recherche de la rentabilité
*Partie 2 Lentreprise créative
*I Le processus dinnovation
*II Comment obtenir le meilleur des individus
*A. Lacteur-projet
*B. Les moyens de la mobilisation
*C. Exploiter les forces en présence
*III Le temps, un élément stratégique
*A. Limportance du facteur temps
*B. Comment mesurer la durée dun projet ?
*Partie 3 Les changements internes et externes provoqués par les modifications organisationnelles
*I Changements organisationnels
*A. La difficile intégration de la logique projet avec les métiers
*B. La réorganisation du travail
*C. La capitalisation des connaissances
*II Lévolution des relations avec les fournisseurs
*A. Une évolution progressive
*B. Les nouvelles caractéristiques du fournisseur
*III Lapprentissage organisationnel
*A. Lévolution chez Renault
*B. Vers lorganisation créatrice
*Conclusion
*
Louvrage de Christophe Midler, LAuto qui nexistait pas, rapporte ses conclusions sur létude du projet X06 qui a donné naissance à la Renault Twingo. Cest à loccasion dune refonte du processus de développement quil a pu ainsi interviewer les différents acteurs, assister aux différentes réunions et voir limpact de la gestion de projet sur lorganisation. Il napporte pas de recettes pour réussir cette transformation mais met en évidence différents points qui sont transposables à dautres secteurs que celui de la construction automobile.
Dans une première partie, nous allons voir comment est née la Twingo puis dans une deuxième partie nous essaierons de montrer comment une organisation peut être créative. Une troisième partie abordera les transformations induites par cette nouvelle approche.
Partie 1 Le développement de la Twingo
I Lidentification des besoins
Depuis 1973, Renault cherche à développer une seconde petite voiture qui viendra épauler la R5 et remplacer la R4. Cest ainsi quavant le projet X06, le nom de code de la Twingo, lentreprise a fait pas moins de 5 tentatives. A chaque fois ce fut un échec. De lexpérience a cependant été acquise et a permis de mieux appréhender le problème.
Pour Renault, ce projet est secondaire. Avec la R5 puis la Super-Cinq à partir de 1984, la Régie est leader sur le marché des petites voitures. Cependant dans la première moitié des années 80, la concurrence sest accrue et notamment en terme de prix. Ainsi les Fiat Panda, Opel Corsa et autres Volkswagen Polo séduisent de plus en plus de clients. Pour Renault il est impossible de lutter. Une tentative est faite avec la Super-Cinq Five pour atteindre cette catégorie de prix, mais il sagit en fait dune voiture " au rabais " et en terme de coûts elle reste chère à produire. En 1986 commence le développement de la Clio qui succédera à la Super-Cinq. Comme cest la tendance à chaque nouveau modèle, ce dernier sera plus abouti, mieux fini que ses prédécesseurs. Il est ainsi impossible de sortir une Clio minimaliste qui viendrait détruire limage de " grande " petite voiture que lentreprise tentera dimposer à partir de son lancement prévu pour 1989.
Cest dans ce contexte que le projet W60 est poussé par la direction.
II La forte personnalité de la Twingo
Des expériences passées, plusieurs leçons sont à retenir :
Une autre exigence viendra de la Direction produit qui, forte de la stratégie résumée par " Renault, des voitures à vivre ", demandera un aménagement intérieur pratique et innovant.
1) Laspect innovation
La Twingo est le premier monospace de taille aussi réduite. Le surcoût de ce type de carrosserie est denviron 5% mais a permis au véhicule de ne pas passer inaperçu. Des études ayant montré que laspect pratique nen souffrait pas si la voiture était conçue dès le départ pour être une trois portes, cest cette solution qui a été retenue.
Cest aussi dans un souci de différenciation qua été conçu lintérieur du véhicule avec une banquette arrière coulissante, un compte-tours central électronique Le surcoût est de 100 F par véhicule pour le compte-tours ce qui peut paraître négligeable pour un véhicule vendu 60 000 F, mais pour lentreprise qui a prévu den produire 1 000 unités par jour cela lest moins. De même le développement de la banquette arrière na pas été sans poser de problèmes. Sagissant dune innovation, les coûts de mise au point ont été importants. Mais tout cela concourt à un même objectif : permettre à la Twingo de se différencier des autres voitures.
2) La non-diversité
Faire un modèle unique a des avantages économiques et techniques indéniables. Prenons lexemple du moteur. Sur un véhicule classique lespace est prévue pour loger le plus gros bloc moteur, ce qui fait quil reste de lespace vide avec des plus petits gabarits. Dans le cas dune carrosserie monocorps, il convient déviter un trop long " museau " pour des raisons de style. Pour placer le moteur la voiture est plus haute mais il faut une mécanique très compacte. En ne retenant quun seul modèle on peut optimiser la place mais également les performances.
La non-diversité a également un autre avantage, celui de clarifier la relation avec le client. La tendance était à lépoque, même si cela est encore vrai aujourdhui sur certains modèles, de proposer une multitude doptions, lobjectif étant de permettre au client de personnaliser sa voiture. En fait ce dernier le percevait de façon négative ayant limpression de " se faire avoir ". Il convient toutefois de noter que le choix du niveau déquipement ne sest pas fait sans problème. Il fallait en effet éviter de sortir une voiture trop peu équipée qui en pâtirait commercialement mais le produit devait rester rentable pour lentreprise. On peut noter ici, lorsquon regarde le chemin parcouru par la Twingo entre 1993 et 1998, que cette position semble avoir évoluée. Initialement très peu doptions étaient prévues : la climatisation (une première pour une voiture de cette catégorie ce qui affirmait son identité), un toit ouvrant et le pack électrique (vitre et fermeture centralisée). Aujourdhui, sil nexiste toujours quun seul moteur disponible, la Twingo a agrandi son nombre doptions (airbag, boîte de vitesse easy, apparition dune version Initiale avec le cuir de série ) et fait ainsi comme ses concurrentes.
III Linfluence des lenvironnement sur le déroulement du projet
A. Les difficultés économiques et sociales de Renault
1) Des pertes historiques
En 1986, Renault vient daccumuler sur les deux derniers exercices près de dix milliards de francs de pertes. Il convient donc de ne financer que des projets rentables. Pour bien marquer les esprits, le nouveau PDG, M. Besse, arrivé en janvier 1985 à la tête de Renault, décide de stopper le projet X45 de petite voiture.
2) Des mouvements sociaux
Cette décision aura par ailleurs des répercussions sur la décision de reprise du développement dun tel véhicule. En effet, au même moment Renault connaît de graves troubles sociaux avec notamment le projet de fermeture de lusine de Billancourt. Pour les syndicats, les déboires du projet X45 sont la preuve de linaptitude de la direction à envisager un avenir pour Renault. Ainsi la CGT développera la Neutral, petit véhicule économique. La W60, avant-projet de la X06, sera mise de côté en novembre 1986, pour nêtre reprise quen 1988 pour servir de base à la X06. Pour lanecdote, le numéro de projet de la Twingo na pas été choisi au hasard. En effet, pour le Salon de lautomobile de 1990, Renault a développé un concept car la Mégane , véhicule haut de gamme dont le nom de code fut W06. En choisissant le numéro X06 pour la Twingo, la direction brouillait les cartes et faisait croire à un développement dun véhicule inspiré de la Mégane et évitait de réveiller la susceptibilité des syndicats.
B. A la recherche de la rentabilité
Jusquà la mi-90, cette contrainte risqua de faire avorter le projet. Il fallu donc rechercher de nouvelles sources déconomie.
1) Une nouvelle façon de penser les coûts
Lorsquen décembre 1988 létat du projet est présenté à M. Lévy PDG depuis la fin de 1986, suite à lassassinat de M. Besse des progrès en matière de réduction de coûts et dinvestissement ont été réalisés mais ils sont insuffisants. Heureusement pour le projet, il se montre fortement intéressé par la maquette et il décide de donner un sursis pour améliorer la rentabilité en utilisant de nouvelles techniques, inspirées des méthodes japonaises.
Cette méthode, le design to cost, a été un franc succès. En remettant en cause les relations entre le constructeur et ses fournisseurs, les gains ont été de 17 % sur certains composants, ce qui était suffisant pour rendre le projet rentable. Jusquici, le service achat disposait dune grille de coûts estimant le prix des différents composants. Ce système nétant pas remis en question les données prévisionnelles étaient faussées. Il fut remis en cause et lentreprise demanda à ses fournisseurs de lui fournir des pièces remplissant un cahier des charges comprenant les prestations désirées et le coût maximum acceptable. Toute critique constructive était acceptable. Ce supplément dautonomie du fournisseur qui nest plus un simple exécutant a permis dobtenir ces bons résultats.
2) Les choix industriels
Au niveau de la production, Renault peut sappuyer sur ses recherches effectuées dans le cadre du projet IRIS. Cette usine virtuelle avait pour objectif de définir des solutions pour atteindre de façon économique une qualité maximale. Mais le développement dune nouvelle usine semble inappropriée, compte tenu de la fermeture de celle de Billancourt. Ainsi la solution retenue sera de moderniser les entreprises existantes de Flins, Valladolid (Espagne) et Cacia (Portugal). Renversant la tendance poussant à toujours plus dautomatisation, Renault va décider de produire la Twingo dans une de ses plus vieilles usines, à Flins, avec du personnel dont la moyenne dâge est la plus élevée du groupe. Le raisonnement est basé sur la volonté de rentabiliser des investissements jusquici en sous-capacité.
3) Les coûts commerciaux
Il est important davoir à lesprit que les frais de distribution peuvent représenter sur un modèle classique près du tiers du coût complet de la voiture. Avec une seule version, Renault peut réaliser de substantielles économies. Pourtant, pour ne pas prendre de risque et imposer limage originale de la Twingo, les dépenses de communication furent importantes, bien quinférieures à celles engagées pour la Clio.
La présentation de la Twingo eu lieu au Mondial de lAutomobile en 1992 par le nouveau PDG M. Schweitzer, mais pour des raisons de qualité, sa commercialisation ne débuta quen avril 1993. Il fallut donc maintenir le public " en haleine " pendant tout ce temps.
Partie 2 Lentreprise créative
Selon J. Schumpeter, linnovation est une nouvelle façon darranger différents éléments tels que la technologie, la finance, les souhaits des clients. La Twingo correspond bien à cette définition. En effet, différents métiers vont se concerter tout au long de la phase de développement, mettre en commun des idées, pour aboutir à une solution, un produit unique sur le marché.
Les acteurs du projet viennent de différents horizons et de différents métiers. Chacun a sa propre vision du produit et de ce que peut souhaiter le client. En cela on peut considérer quils sont les représentants de clients virtuels. Lobjectif sera de tirer profit des concertations entre ces individus. Des conflits vont apparaître inéluctablement. Par exemple le technicien peut souhaiter revoir le travail des designers pour améliorer les performances du véhicules. Le financier peut sopposer, pour des questions de rentabilité, à la décision prise par les commerciaux de mettre en série différents équipements sensés être vendeurs. Lobjectif sera de tirer de ces contradictions des solutions et cest là que réside linnovation, dans larrangement des points de vue de chacun.
II Comment obtenir le meilleur des individus
La nomination dun Directeur de projet permettra de tirer le meilleur parti des intervenants tout en faisant respecter les contraintes en matière de qualité, de budget, de délai. Celui que nous appellerons l'acteur-projet na pas pour vocation de développer le produit lui-même mais de concentrer les forces de lentreprise sur sa réalisation. Son rôle, avec laide dune équipe dune quinzaine de personnes, est dencadrer et mobiliser la centaine dintervenants issus des différents métiers qui vont participer au projet. Il doit veiller à ce que les conflits, apparaissant naturellement, soient porteurs de créativité et ne viennent pas retarder le développement. Il joue un rôle de régulateur devant laisser les individus prendre leurs responsabilités et saffirmer, tout en recherchant le compromis.
Cest également la mémoire du projet. Pour pouvoir le faire avancer, il convient de maîtriser la technique mais aussi ce qui a été fait antérieurement, expliquer les décisions prises pour garder un produit cohérent, ne pas répéter les erreurs du passé (sans pour autant appliquer des solutions préconçues sans les remettre en cause).
Concernant le métier de gestionnaire de projet on assiste de plus en plus à une professionnalisation. Ce mouvement est dû à linfluence des cabinets et des organismes anglo-saxons. Mais lacteur-projet nest pas un simple technicien des projets. Il doit aussi avoir une bonne maîtrise des métiers regroupés au sein du projet. Lalternance entre une fonction projet et une fonction métier est donc conseillée. De plus elle permet une diffusion plus large des connaissances en matière de gestion de projet au sein de lentreprise.
B. Les moyens de la mobilisation
Au delà des compétences techniques il est indispensable que les participants soient passionnés par le travail quon leur demande. Le projet doit être motivant. Pour cela, il peut être présenté comme une forme de défi. Dans le cas de la Twingo il a fallu résoudre de nombreuses difficultés, remettre en cause certaines habitudes Le produit en lui-même doit être séduisant pour que les gens sinvestissent dedans.
Rendre les individus autonomes est un autre moyen de les mobiliser. Plutôt que dessayer datteindre un objectif fixé par la hiérarchie et qui peut donc sembler être sujet à caution, lindividu le fixe lui-même. Il est donc beaucoup plus difficile pour lui de le contester. Pour que cela fonctionne il faut aussi responsabiliser. Il ne sagit pas de déléguer la gestion des contraintes au niveau de la base mais plutôt dinciter à anticiper les problèmes, pour les résoudre avant quil ne soit trop tard ou quil soit ruineux dy faire face, à participer au prises de décision, à demander des moyens...
C. Exploiter les forces en présence
1) Communiquer
Tout dabord il convient de revoir le schéma classique du processus de développement. Auparavant les métiers intervenaient les uns après les autres ce qui obligeaient à de multiples aller-retour. Il faut organiser une communication transversale, inter-métiers. Cest ce quon nomme la " concourance ", traduction de concurrent engineering. Cette organisation permet de mesurer facilement le degré davancement du projet. Dans les faits cela se traduit par la représentation au sein de léquipe projet des différents métiers de lentreprise qui peuvent ainsi donner leur avis à chaque étape du processus de développement.
Dans le but de faciliter la communication entre les intervenants, tous les intervenants sont réunis dans un même lieu géographique. Ainsi en cas de problème, plus besoin de passer par la voie hiérarchique, il suffit simplement daller voir son voisin pour discuter de la difficulté rencontrée. De plus en résolvant le problème immédiatement, on est sûr de ne pas en laisser passer, car lorsquils saccumulent on a tendance à résoudre les plus importants au détriment des autres. On a donc à la fois un avantage en matière de délai et de qualité. Cest à partir de ce constat que Renault a décidé de construire son technocentre qui regroupe en un même lieu depuis peu de temps tous les métiers concernés par le développement dun nouveau véhicule. Linvestissement a été de 5,5 milliards de francs, mais lentreprise espère beaucoup gagner en terme de délai de développement dun nouveau produit. Pour la Twingo, le plateau projet sest déplacé des locaux du Bureau dEtudes à lusine de fabrication lors de la mise en place de loutil de production. La proximité géographique des intervenants permet aussi de développer la communication informelle, très efficace.
Traiter les problèmes dès la base permet déviter de noyer le haut de la hiérarchie sous des problèmes opérationnels. Ce tri permet de ne faire remonter que les points les plus délicats.
2) Evaluer
Le projet doit se développer dans le respect de trois contraintes : la qualité, le coût, le délai. Mais comment lévaluer ?
On peut tout dabord utiliser des indicateurs tels que la rentabilité espérée, les performances physiques obtenues par le produit. Mais les résultats peuvent être biaisés. En effet, lorsquon les présente on oublie trop souvent dindiquer leur origine et plus souvent encore la fiabilité de leur source. Ces données étant traitées par des ordinateurs effectuant des calculs complexes, on les considère a priori rigoureux et scientifiques. Lévaluation du projet est avant tout subjective. Elle dépend des hommes qui le font. Ainsi larrivée dun nouveau dirigeant et la nomination dun nouveau Directeur du Design a permis davoir une vue nouvelle.
Lévaluation va servir au pilotage du projet. A laide de règles simples les intervenants vont pouvoir juger de limportance de leurs actes. Par exemple pour la Twingo il a été estimé quun franc de coût unitaire correspondait à un million de francs dinvestissement. Cette règle, à défaut dêtre précise, a le mérite dêtre claire et incite à la prudence quant à laugmentation des coûts, si on veut préserver la rentabilité du projet.
III Le temps, un élément stratégique
A. Limportance du facteur temps
La " chrono-compétition " (time-based competition) sapplique à tous les secteurs. Ce sont les japonais qui ont les premiers utilisé le délai de développement dun produit comme outil concurrentiel. En effet, plutôt que dessayer de définir avec précision la cible du produit quils développent, ils observent le marché, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Leur offre paraît ainsi très disparate avec sans cesse de nouveaux produits. Grâce à des délais de développement très courts, ils sont très réactifs et donc peuvent bénéficier les premiers dune opportunité qui apparaît sur les marchés, que ce soit un besoin exprimé clairement ou un besoin inconscient du consommateur.
Ce modèle est particulièrement valable pour une demande imprévisible. Mais réduire le temps mis à développer un nouveau produit est également utile même lorsque cette demande ne change guère. En effet, dans le cas de la Twingo il a fallu cinq ans pour mettre sur le marché le produit et pour lépoque cétait un record. Si ce délai pouvait être ramené à trois ans, les informations concernant les souhaits des consommateurs, fournies par le service marketing, seraient beaucoup plus fiables que celles à horizon cinq ans.
B. Comment mesurer la durée dun projet ?
On peut fixer le début au moment où la question stratégique est posée, à lavant-projet, à la constitution de léquipe projet, au gel du projet Cest souvent à partir de cette dernière date que lon mesure le time to market, le temps mis par le produit qui étant défini de façon irrévocable commence à vieillir à arriver sur le marché. La date de fin du projet peut donc être la date de commercialisation, mais aussi celle de démarrage de la série. Comment également tenir compte du fait que dans le domaine automobile un même projet peut conduire à plusieurs lancements (par exemple, lancement dune version break, dun coupé ) étalés dans le temps ?
Dans un projet, le temps ne sécoule pas de façon linéaire. Ainsi pour la Twingo, lavant-projet W60 a été mis de côté pendant presque deux ans, alors que tout sest précipité pour tenter de sortir la voiture dès le Mondial de lAutomobile. Cest le rôle de lacteur-projet de gérer le calendrier, de créer lurgence, tout en sachant que la première priorité nest peut-être pas le temps. La Twingo na pu être ainsi commercialisée quen 1993 à cause de problèmes qualité. Chez un autre constructeur, Citroën, la sortie de la XM a été précipitée, ce qui sest fait au détriment de la qualité. Aujourdhui encore le produit le paie très cher et est entaché dune très mauvaise image se répercutant directement sur les ventes voire sur limage de la société elle-même.
Partie 3 Les changements internes et externes provoqués par les modifications organisationnelles
I Changements organisationnels
Les métiers restent toujours à la base de lactivité de lentreprise mais le management par les projets apporte une dimension supplémentaire.
A. La difficile intégration de la logique projet avec les métiers
Pour quune équipe projet soit efficace elle doit maîtriser tous les domaines se rattachant à lactivité de lentreprise ce qui revient à avoir une représentation de chaque métier dans le groupe de travail. Qui nommer ? Le problème peut effectivement se pose si la structure nest pas prévue pour un travail basé sur une logique de projet. Il faut trouver quelquun ayant une grande compétence et qui simpliquera à plein temps dans le projet. Chez Renault cela a conduit à créer un nouveau poste au service études : responsable de sous-ensemble. Mais dans certains services cela peut ne pas être aussi simple. De plus les membres de léquipe projet doivent également avoir suffisamment dautorité au sein de leur métier respectif pour que les décisions prises soient acceptées par leur hiérarchie.
La personne une fois nommée doit être intégrée à léquipe et participer aux discussions pour que sa présence soit utile. Lintérêt davoir à toutes les étapes du développement un représentant de chaque métier est de pouvoir prévenir certains problèmes. Sils se taisent, lintérêt de léquipe projet est quasiment nul. Il faut mieux avoir des conflits dopinion au sein du groupe plutôt que dattendre sans rien dire. La difficulté de communication peut venir non pas du fait que le sujet soit techniquement complexe mais plutôt dun problème de rationalisation de ses compétences. Plutôt que de connaître le métier des autres, il convient de maîtrise le sien autrement. Par exemple expliquer un savoir-faire peut être un exercice très difficile. Cest en fait le résultat dexpériences physiques. Comment lappliquer à des modèles virtuels ?
B. La réorganisation du travail
Pour les plus anciens, lentreprise est découpée en métiers. La logique projet, soutenue en général par les plus jeunes prône un tout autre type de découpage, transversal par rapport aux métiers. Sa définition est délicate car les problèmes les plus difficiles apparaîtront aux frontières.
En participant du début à la fin au projet, il est fort probable quun surcroît de travail apparaisse dans les différents services. Par exemple, le service production interviendra au moment du design pour indiquer comment faciliter lassemblage, alors que jusquici on lui confiait des plans quil devait exécuter. Dans ce cas précis, on peut faire des économies à la fois sur le coût (baisse du temps de montage) et sur la qualité (si le travail est moins pénible et fastidieux on peut espérer une plus forte concentration de la part du personnel exécutant).
Avec une plus forte autonomie et une plus grande responsabilisation, la nouvelle organisation facilite lautocontrôle, faisant ainsi évoluer le rôle des contrôleurs. Leur objectif est maintenant délaborer, dappliquer et de mettre à jour des outils faciles dutilisation et pertinent qui garantissent cet autocontrôle. Ceci a des conséquences en terme de flux dinformations. Plutôt que le haut de la hiérarchie dicte ses ordres, la base indique ses besoins et les problèmes sont résolus transversalement. Pour faciliter cette responsabilisation, on peut préconiser une politique dalternance avec un poste tantôt dans une équipe projet, tantôt attaché à un métier.
Pour mieux tenir compte de toutes ces modifications, il peut être souhaitable que la direction projet et la direction métier soient rapprochées.
C. La capitalisation des connaissances
Ces changements organisationnels permettent-ils toujours la capitalisation des connaissances ou est-ce quune fois le projet fini tout est oublié ?
Des études montrent que lorganisation taylorienne est déqualifiante. Elle sépare la partie conception, jugée " noble " de la partie exécution. Cela nest pas sans conséquence du point de vue social. Au contraire une organisation par projet permet à des individus dhorizon divers de se rencontrer, déchanger des idées. Cest nettement plus formateur. Comment redistribuer cette expérience au sein du métier ? Cest le nouvel objectif de lencadrement qui dun rôle de superviseur passe à un rôle de gestionnaire des connaissances.
II Lévolution des relations avec les fournisseurs
Dans les années 50 60 un constructeur automobile comme Renault produisait toutes les pièces qui rentraient dans le montage de ses voitures. Puis est apparue la sous-traitance. Le Bureau dEtudes concevait les pièces, les Méthodes définissaient le process. Il ne restait plus quà trouver un fournisseur capable de produire au meilleur rapport qualité/prix. Aujourdhui les sous-traitants sont beaucoup plus autonomes. Ils développent eux-mêmes les composants avec éventuellement laide du constructeur. Lobjectif de cette entente est de pouvoir trouver la meilleure solution possible en mettant en commun les ressources. Ainsi par exemple pour le moteur de la Twingo, il a fallu mettre aux normes antipollution un ancien bloc. Le coût aurait été beaucoup plus élevé pour Renault sil navait pas travaillé avec un fournisseur de carburateur qui cherchait à se reconvertir dans linjection pour respecter les normes antipollution.
Des gains tant en terme de coût que de délai sont à attendre. Il convient toutefois dapporter un bémol. Lorsquil sagit simplement de mettre en commun des compétences déjà acquises par le constructeur et son fournisseur le bilan est souvent positif, mais cela devient moins évident lorsque ni lun ni lautre nont développé au préalable un tel composant. Dans le cas de la Twingo, si de fortes économies ont pu être réalisées sur le câblage électrique, le siège arrière, entièrement nouveau a posé beaucoup plus de problème.
Un fabricant ne peut devenir concepteur du jour au lendemain. Il convient de mettre en place chez le fournisseur une organisation analogue à celle décrite précédemment, à savoir basée sur la gestion de projet et plus seulement sur la hiérarchie.
B. Les nouvelles caractéristiques du fournisseur
Pour que lassociation soit productive, les critères à prendre en compte dans le choix du fournisseur sont différents de ceux appliqués jusque là. Il faut maintenant intégrer les capacités du sous-traitant à dialoguer avec lentreprise, à conduire le développement dun nouveau produit, à respecter la qualité, les délais, à sadapter en cas de changements dans le projet La notion de confiance est également très importante car il ne faut pas quun des deux partenaires se mettent à vouloir jouer les francs-tireurs.
Du sous-traitant on est passé au co-traitant. Dans ce dernier cas de figure, le fournisseur est considéré un peu comme un service de lentreprise elle-même et cest ainsi quil est présent tout au long du développement du projet sur le plateau projet. Au niveau du dialogue les interlocuteurs changent donc. Le sous-traitant na plus affaire au seul responsable du service achat mais à lensemble du personnel de lentreprise associé au projet.
III Lapprentissage organisationnel
Jusque dans les années 50 lorganisation est divisée uniquement en métiers. Cest avec le développement de lenvironnement concurrentiel que se dessine le besoin de passer du pilotage artisanal à la mise en place dune régulation au sommet. La direction va alors nommer un responsable chargé de suivre les projets qui passeront toutefois encore successivement dans les différents métiers. A la fin des années 70 la mission projet est suivie non plus par un seul acteur mais par trois responsables dépendant chacun dune direction métier. Cest en 1988 que seront créées les Directions de Projet.
La structure en Direction de Projet (Clark, Hayes et Wheelwright [1988])
B. Vers lorganisation créatrice
Il faut tout dabord noter quil nexiste pas de modèles préétablis, chaque entreprise étant un cas particulier, avec son histoire, ses blocages Ensuite la transformation ne pourra se faire que de façon progressive, la concurrence nattendant pas pour continuer la fin de la mise en place de la nouvelle organisation. Il convient de programmer ces changements de façon cohérente en tenant dun possible effet dapprentissage. Dailleurs, il peut être intéressant de procéder à des expérimentations préalables et, pourquoi pas, en faisant intervenir le monde de la recherche qui s'intéresse de plus en plus à la réalité de lentreprise. Enfin, les résultats ne sont pas immédiats. Cest donc une opération très longue.
Lexpérience de Renault montre limportance de limplication de la Direction Générale dans ce processus de réorganisation, même si la simple volonté politique ne suffit pas dans les grandes organisations.
A travers lexemple de Renault et de la Twingo nous avons pu aborder la question de lorganisation créative. Christophe Midler termine son ouvrage en sinterrogeant sur la représentativité de ce cas au sein du monde industriel.
Il semble que la majorité des constructeurs dautomobiles vivent la même transformation à quelques nuances près. Pour PSA par exemple, se pose le problème supplémentaire de la gestion de deux marques et lencadrement y est plus présent.
Mais dautres secteurs sont concernés. En effet des problèmes similaires se posent : la recherche dune meilleure qualité au moindre coût, la mondialisation de la concurrence avec parallèlement une fragmentation des marchés, la diminution des délais de mise sur le marché de nouveaux produits et lincertitude de la demande face à cette offre. Ainsi des études montrent que dans lélectronique grand public, la micro-informatique, les télécommunications, lindustrie pharmaceutique, etc. sopèrent des changements avec la mise en place dorganisations basées sur la gestion de projet sous différentes formes.