DEL AGUILA
FABRICE
JAMES BRIAN QUINN
LENTREPRISE INTELLIGENTE
Savoir, services et technologie
DESS contrôle de gestion
Sommaire
INTELLIGENCE ET SERVICES
*La fin des idées reçues
*Les nouvelles économies
*Une mutation des rapports de force
*Où il est question de stratégie, de compétences clés, de création de valeur et de sous-traitance.
*LA REVOLUTION DANS LES ORGANISATIONS
*La plus petite unité de base reproductible
*Des organisations intelligentes
*COMMENT GERER LES ENTREPRISES INTELLIGENTES
*La gestion des hommes
*La direction Générale
*Le binôme qualité - productivité
*CONCLUSION
*L'ENTREPRISE INTELLIGENTE
Il paraît périlleux de synthétiser l'ouvrage de J.B.Quinn en une dizaine de pages. Pour ne pas aboutir à une suite d'informations inarticulées, il convient de s'intéresser à la substance du texte, aux idées qui ressortent de la logique du raisonnement. Le livre traite de la façon de gérer l'intelligence en tant que matière première des services (1) ainsi que les stratégies et les technologies rattachés à cette activité. Etant donné la nationalité de l'auteur, l'étude s'appuie en particulier sur les données de l'économie américaine.
NB : Le terme " sous-traitance " est régulièrement utilisé dans " l'entreprise intelligente ". Lauteur sous entend une sous-traitance au sens dexternalisation.
Lors des dernières décennies, les gains de productivité " techniques " ont permis de diminuer le temps nécessaire à la création de biens dans un contexte où l'écoulement de ceux ci sur le marché est limité par les besoins des consommateurs. Dans un même temps les nouvelles technologies ont permis de multiplier les services tout en accroissant leur valeur et en diminuant leurs coûts.
Ce secteur est donc rapidement devenu le gisement plus important de l'économie américaine, en terme d'emploi (car le plus accessible aux travailleurs débutants), de valeur ajoutée, de rentabilité à terme, de gains de productivité (logistique, recherche, vente..) . C'est lui qui permet aujourd'hui la productivité de l'industrie (baisse du coup des transports..) et ainsi de maintenir la croissance de son niveau d'activité. L'idée selon laquelle les services seraient des produits de valeur moindre que les biens industriels a donc vécue..
L'essor des télécommunications, des moyens de transport ou de " l'industrie des loisirs " a également démenti une autre idée fausse selon laquelle les services seraient moins gourmands en capital et en technologies que l'industrie en générale. La conséquence corrélative à cette situation à été l'apparition de géants du service qui était autrefois le terrain de prédilection des petites entreprise. La société de livraisons internationales " FedEx " possède par exemple une flotte de 610 avions longs courriers (soit trois fois plus qu'Air France) pour un CA de 80 milliards de frs et un bénéfice net de 2,5 milliards (source " Capital " n°84 sept 1998). Mac Donald's nourrit chaque jour l'équivalent d'un tiers de la population anglaise...
Le potentiel de croissance de ce secteur n'est limité que par l'esprit humain et non, comme dans le secteur de l'industrie, par des contraintes environnementales (et notamment écologiques). Les services bouleversent nos notions de " richesses " basées sur des repères matériels (maison, voiture, habits) en proposant des prestations comme l'éducation, la santé, la sécurité, la communication, l'assurance, sources d'une richesse d'autant plus importante que l'on peut la transmettre sans difficulté au générations futures.
La restructuration de l'économie a donc paradoxalement permis d'introduire une nouvelle stabilité. En période de récession le consommateur préférera reporter ses dépenses en biens durables plutôt que de perdre ces services.
Cependant il ne s'agit évidemment pas de viser la suppression de l'industrie. Il s'agit plutôt de saisir la complémentarité étroite et complexe des deux secteurs permettant de tendre vers une économie saine. Si le secteur des services est aujourd'hui le moteur de la croissance économique, il offre à l'industrie, comme nous allons le voir, les plus belles opportunités en matière de valeur ajoutée, de productivité, de flexibilité et de débouchés pour leur produits.
Les sociétés de service peuvent être pour l'industrie d'importants clients, des fournisseurs, des chefs de file pour les nouveaux produits ou des associés dans leur développement, des conseillers, des intermédiaires sur le marché, des sources d'information, de puissants moyens de distribution...
La croissance des offres en matière de service, accompagnée par des déréglementations plus ou moins brutales mais néanmoins nécessaires, ont amené les entreprises à se battre sur de multiples secteurs. Les périmètres concurrentiels de chacun ainsi que les besoins en investissement en ont été profondément bouleversés. On peut trouver dans ce phénomène la cause de la concentration des sociétés du secteur.
Deux types d'entreprises naissent de ces transformations. Tout d'abord de grosses structures répondant à une demande large qui nécessite de lourds investissements. Elles bénéficient alors d'économies d'échelles. Ensuite des " petites " sociétés qui elles visent une clientèle ciblée. Les entreprises de taille moyenne, prises entre deux feux, sont éjectées du marché ou bien mutent vers l'une des deux autres structures.
Corrélativement aux économies d'échelles, les grands groupes ont pu bénéficier d'économies de compétence. Ils s'appuient sur les activités existantes (réseau informatique et humain, systèmes électroniques, équipements existant) pour en développer de nouvelles tout en gérant la complexité accrue.
Une mutation des rapports de force
Il est en revanche indéniable que la restructuration de l'économie américaine, et notamment l'apparition des " géants ", a entraîné un glissement du pouvoir de l'industrie vers les services et en particulier des distributeurs. Leur pouvoir financier et le volume de leur clientèle sont tels qu'ils autorisent toutes les exigences. Ils reportent sur l'industrie leurs risques de stockage en imposant des règles strictes de JAT, s'immiscent dans la conception, déterminent implicitement le niveau de la production ... Ils connaissent mieux que le fabricant les désirs des consommateurs.
Les distributeurs peuvent répercuter leurs caprices, modifiant ainsi la capacité de réponse du fabricant . Le consommateur devient donc, de manière indirecte, le décideur en matière stratégique et prolonge ainsi le phénomène de glissement de pouvoir.
Où il est question de stratégie, de compétences clés, de création de valeur et de sous-traitance.
Pour conserver un avantage concurrentiel, il est nécessaire de concentrer les investissements sur les activités (et non sur les produits, ce qui permet de raisonner en terme de leadership à long terme) regroupant les compétences clés de l'entreprise. Ce sont celles qui sont indispensables au développement stratégique ou plus prosaïquement, celles qui sont " importantes pour le client ". On ne résonne pas en terme de part de marché mais en terme de part d'activité. Une telle vision nécessite souvent de redéfinir la nature même de l'activité de l'entreprise.
Les compétences clés sont généralement des activités intellectuelles et des services qui représentent aujourd'hui les maillons décisifs des chaînes de valeur dans la plupart des sociétés. De part la rapidité du progrès technique, la fabrication des biens, en interne comme en externe, a cessé d'apporter les contributions les plus importantes à la valeur ajoutée. Les produits manufacturés sont de plus, trop facilement recopiés, imités, dépassés. Un avantage concurrentiel durable ne peut provenir que des compétences en général, du savoir-faire, de l'expérience, de la capacité d'innovation, de la connaissance du marché, de bases de données ou de systèmes d'information et de distribution...
Si les services sont sources de création de valeur, ils génèrent souvent des frais de structure. Ainsi, dans le cas où une entreprise ne parviendrait pas à demeurer la " meilleure du monde " sur une de ces activités, c'est à dire à créer un maximum de valeur à partir de celle-ci, elle a tout intérêt à recourir à la sous-traitance (et donc à chercher les " meilleurs fournisseurs du monde ").
Cela vise par exemple la conception des produits, la planification, la comptabilité, la gestion du personnel, le marketing... Le choix des activités à sous-traiter résulte souvent d'un benchmarking approprié (à la fois entre les divisions éventuelles et les concurrents extérieurs), d'une comparaison des coûts de transaction entre un service réalisé en interne ou externe..
Loin de vider l'entreprise de sa substance, la sous-traitance contribue à un meilleur niveau de flexibilité, de croissance et de rentabilité (la rotation des fonds propres étant améliorée par de larges désinvestissements industriels). L'entreprise peut se recentrer sur son métier et ainsi acquérir et coordonner des actifs intellectuels dans le monde entier : savoir faire en matière de qualité, de valeur ajoutée, capacité d'adapter ses compétences particulières aux besoins des clients... L'entreprise n'est plus simplement un propriétaire et un gestionnaire d'actifs physiques. Elle devient une entreprise " intelligente "..
Puisque les activités sous-traitées sont souvent loin d'être périphériques. Il convient de conserver la maîtrise de cette sous-traitance. Des risques significatifs apparaissent: l'abandon de compétences qui sur le long terme deviendraient des compétences clés, la fin des échanges de connaissances interdisciplinaires... Egalement il ne faut pas devenir trop dépendant des sous-traitants et ainsi de ne pas subir à terme leur domination
Les solutions résident tout d'abord dans la conservation du contrôle de quelques étapes stratégiques d'un processus. Ensuite il est primordial de garder au sein de la direction générale quelques cadres très spécialisés et compétents, chargés de suivre les relations avec les fournisseurs: on les appelle les coordinateurs d'activités. Les coûts de transaction induits pourront être sensiblement réduits grâce aux nouvelles technologies (surveillance on-line...)
LA REVOLUTION DANS LES ORGANISATIONS
La plus petite unité de base reproductible
Les technologies de services permettent de concilier deux objectifs jusqu'ici considérés comme conflictuels, à savoir obtenir le coût le plus bas tout en offrant le service le plus personnalisé possible. Les sociétés concernées optimisent leur flexibilité sur le plan local, bénéficient des économies d'échelles liées aux nouvelles technologies et font preuves de plus d'efficacité grâce aux courbes d'expérience.
Cela est notamment permis par la recherche de la plus petite unité de base à partir de laquelle une activité est reproductible et par le développement d'indicateurs précis au niveau de ces unités. Ce processus permet de décentraliser l'organisation -ce qui se traduit par une plus grande souplesse et des économies de fonctionnement- sans s'exposer aux risques de perte de contrôle qui sont généralement liés.
Pour mener à bien cette démarche il est indispensable de responsabiliser le personnel en contact avec la clientèle en utilisant la combinaison de trois leviers : formation, motivation (en contrepartie du contrôle) et un système d'information fiable.
Des organisations intelligentes
J.B.Quinn présente trois types d'organisations " intelligentes " originales et relativement répandues qui découlent de l'application de ces principes et qui permettent plus de souplesse. Il s'agit de structures " infiniment plates " sur le plan hiérarchique, de " toiles d'araignée " (organisations en réseau), de " Pyramides inversées " (pour le client, la personne la plus importante et la plus responsabilisée dans une entreprise est le vendeur : tout le monde travaille pour ceux qui sont en première ligne. La pyramide est renversée car les opérationnels deviennent des fonctionnels et inversement).
Suite à la mise en place de ces nouvelles organisations, d'autre structures innovantes ont émergé, avec comme dénominateur commun les caractéristiques principales des trois premières. Ce sont des organisations " fédérales ", en " grappes ", en " constellation ", ou " volontaires "... Les objectifs demeurent la souplesse, la rapidité de réaction, la réduction des lignes hiérarchique, la baisse de frais de structures, des services plus personnalisés sur des marchés rentables stratégiquement ciblés.
COMMENT GERER LES ENTREPRISES INTELLIGENTES
Ces types d'organisations " intelligentes " ne sont cependant pas une panacée. Les spécialistes possèdent dans ces sociétés un haut niveau de compétence sans cesse approfondi et savent qu'ils sont la source d'une forte part de la valeur ajoutée du produit sur lequel ils travaillent. Vient alors le jour où les spécialistes d'une même activité se réunissent en autocraties, méprisant ceux qui dans l'organisation ne possèdent pas leur connaissances. L'autorité est charismatique, basée sur des jeux de pouvoirs.
Pour ne pas se retrouver confronté à de telles situations, Intel qui combine à la fois matière grise et innovation a su mettre en place un système où les hommes travaillent le uns pour les autres et les uns avec les autres. Les privilèges associés aux rangs hiérarchiques on été supprimés. Des équipes de " projet pilotes " volontairement pluridisciplinaires ont été constituées. Chaque membre sait qu'il sera évalué et donc que l'on s'intéresse à son travail. Sans cesse les équipes se forment et disparaissent ensuite en fonction des problèmes spécifiques qu'elles devaient traiter.
Les entreprises innovantes sont par conséquent souvent soumises à des phénomènes de hasard et de désordres inhérents au processus d'innovation. Pour être efficaces, il faut que les membres de l'organisation intègrent des objectifs concrets. Pour obtenir cette cohésion, l'entreprise doit leur définir les compétences de base de la société mais aussi leur communiquer des indicateurs relatifs à la fois aux performances de la concurrence et aux besoins des clients. Une fois que les objectifs sont compris et acceptés, ils peuvent se transformer en défis récompensés sous la forme de primes, de promotions, de " symboles du mérite "... En combinant des objectifs parfaitement définis, une vision claire de l'entreprise, un nombre de niveaux hiérarchiques réduit, une technologie et une organisation au service du concept stratégique, le dirigeant peut tirer la meilleure combinaison possible de la créativité, de l'expertise, de la flexibilité et du dynamisme.
Tout d'abord, il apparaît que toutes les " entreprises intelligentes " tendent vers un allégement des directions générales. Celles ci visent une meilleure efficacité d'où la nécessité de posséder de nouvelles compétences: une vision cohérente des entités dispersées du groupe, une capacité à instaurer un climat de confiance, de motivation et de coordination. Les membres des entités éloignées doivent être guidés par une certaine image (au sens large) de l'entreprise.
Ces qualités impliquent que les dirigeants fassent appel à des experts extérieurs apportant une stimulation intellectuelle qu'un groupe interne pourrait difficilement leur apporter, à moins de posséder l'ensemble de compétences clés de l'entreprise.
Ensuite, il est indispensable de savoir gérer la sous-traitance et les relations de partenariat. Aujourd'hui, la sous-traitance ne consiste plus simplement à coordonner des actes d'achats: on peut désormais parler de partenariat, d'alliances stratégiques, de joint ventures établis par les entreprises pour décupler les compétences clés... Ces relations, certes difficiles à gérer, peuvent être non seulement fructueuses mais aussi très rentables sur le plan financier. Pour parvenir à cela, il est nécessaire de mener des réflexions sur des thèmes aussi divers que la diminution des coûts de transactions, la conformité des objectifs et la compatibilité des stratégies, la confiance mutuelle, la protection des compétences clés, un suivi d'ordre stratégique, des cultures d'entreprises comprises par tous...
Il est clair que la transition d'une entreprise classique vers une entreprise évoluée est loin d'être simple. La transformation doit être progressive afin de réduire les risques, de collecter les informations nécessaires, de venir à bout des méfiances vis à vis des pertes de pouvoir. Il faudra dans un même temps redéployer les ressources de façon intelligente à chaque étape de l'évolution.
Le binôme qualité - productivité
Un des grands problèmes auxquels sont confronté les dirigeants des entreprises " intelligentes ", ou celles dont le métier est basé sur la matière grise, est l'évaluation des produits des activités de service. Les indicateurs sont rares et se développent lentement.
Voici un exemple d'indicateurs retenus par AT&T-Bell pour évaluer la rentabilité des programmes de recherche. Sept critères ont été retenus:
On perçoit, entre autres, dans le modèle proposé par AT&T-Bell la volonté de gérer le niveau de qualité. Pour appréhender correctement un problème aussi complexe, il convient de ne pas se limiter à des indicateurs internes (file d'attente, réclamation, coûts de suivi du service) mais d'utiliser de manière systématique et exhaustive des outils externes (sondages de la clientèle). Ceux ci permettent de dépasser le recours à l'intuition des dirigeants. Il est en effet indispensable de recentrer les notions de qualité et de productivité du service du point de vue du client.
L'autre indicateur primordial à gérer dans les entreprises de service est celui de la productivité. Or deux difficultés apparaissent assez rapidement. Tout d'abord, il est très difficile de mesurer la productivité d'un service. De multiples méthodes ont été développées par les entreprises mais ils possèdent tous une large part d'incertitude voire d'inexactitude. Ensuite, il semble peu aisé de concilier un niveau de qualité élevé et une productivité importante. Pour y parvenir, dix conditions qui sont les points clés du management des services et des nouvelles structures doivent être remplies ou tendre à l'être:
Lorsque ces dix points auront été respectés, lorsque la gestion des hommes et lorganisation de la hiérarchie auront été repensé, lentreprise pourra aborder de manière sereine sa vie d " entreprise intelligente ".
Tous les conseils précédemment cités ne sont pas des solutions miracles. Il s'agit plutôt de concepts généraux utiles basés sur l'expérience de nombreuses sociétés ayant abordé avec plus ou moins de réussite un tel virage. Comment décupler ses compétences clés en se tournant vers les activités de services, comment gérer et développer l'intelligence et les compétences humaines (par opposition aux actifs physiques). La restitution exhaustive de ces conseils est bien entendu impossible dans le cadre de cette synthèse et ceux-ci nécessitent une lecture approfondie de l'ouvrage de J.B Quinn.
C'est une vraie révolution que décrit l'auteur. Un révolution qui modifie en profondeur le tissus économique mondial depuis le début des années quatre-vingts dix.
Pourtant, il semble que ce phénomène ne s'installe en France que depuis environ trois ans. Certes les secteurs des services y est largement développé (63% de la population active) mais il conserve encore des structures classiques et bureaucratiques.
Les signaux du changement commencent tout de même à clignoter. Les grands pourvoyeurs de service français et internationaux (Arthur Andersen, Cap-Gemini ...) se développent en masse sur le marché hexagonal, tandis que les entreprises commencent à se recentrer sur leurs métiers de base afin de maîtriser ces fameuses compétences clés basées sur la matière grise.
(1) The economist définit de manière simple les services comme étant " tout ce que vous pouvez acheter dans le commerce sans pouvoir le recevoir sur le pied ".