Lavantage Concurrentiel
Comment devancer ses concurrents et maintenir son avance
Michael Porter
Résumé de lédition traduite de laméricain par Philippe de Lavergne
FLEURY Hubert
DESS Contrôle de Gestion 1998-1999
Sommaire *
Introduction *
Partie 1 - Acquisition dun avantage concurrentiel
*A - Un instrument danalyse : la chaîne de valeur
*B - Lavantage par les coûts
*C - La différenciation
*D - Eléments influant à la fois sur lavantage concurrentiel et la structure du secteur
*E - Interactions avec le champ concurrentiel
*Partie 2 - Interconnexions et stratégie horizontale
*A - Les interconnexions entre unités de lentreprise
*B - La stratégie horizontale
*C - Les produits complémentaires
*Partie 3 - Implications stratégiques
*A- Le rôle des scénarios sectoriels
*B - Les stratégies défensives
*C - Les stratégies offensives
*Quelques commentaires en guise de conclusion
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« Les cinq forces de la concurrence », « la chaîne de valeur » : les concepts élaborés par Michael PORTER sont incontournables dans les études de cas de stratégie. Le premier dentre eux a été présenté en 1982, dans louvrage intitulé Choix stratégiques et concurrence. Trois ans plus tard, le livre résumé ici recourt à la chaîne de valeur pour traiter plusieurs questions fondamentales concernant lavantage concurrentiel. Comment acquérir un avantage concurrentiel durable ? Comment les interconnexions permettent-elles de renforcer un avantage concurrentiel ? Quelles sont les implications stratégiques des solutions correspondant à ces deux problèmes ? Les réponses à ces trois questions constituent lessence même du livre.
Partie 1 - Acquisition dun avantage concurrentiel
Avant dentrer dans le vif du sujet, il convient de définir le principe davantage concurrentiel. Cest ce que fait lauteur en le décrivant comme « la valeur quune firme peut créer pour ses clients en sus des coûts supportés par la firme pour la créer ». Il est par conséquent capital pour une entreprise didentifier ses sources davantage concurrentiel, avant bien sûr de les exploiter.
A - Un instrument danalyse : la chaîne de valeur
Ce travail de prospection repose presque entièrement sur lutilisation de la chaîne de la valeur comme instrument danalyse. Elle schématise limbrication des activités créatrices de valeur en distinguant activités principales (logistique interne, production, logistique externe, commercialisation et vente, services) et de soutien (approvisionnements, développement technologique, gestion des ressources humaines et infrastructures de la firme).
Cette décomposition montre limpact de chaque activité en termes de coûts ou son potentiel dans une optique de différenciation.
Dautre part, ces activités sont liées les unes aux autres par des mécanismes doptimisation (il peut être nécessaire darbitrer entre deux activités) ou de coordination dont limpact sur les coûts et les performances de la firme sont considérables.
Il existe également des liaisons externes ( ou « verticales »), quand la chaîne de valeur de la firme est en contact avec celles des clients fournisseurs et distributeurs. Elle sintègre ainsi dans un système de valeur (selon la terminologie de louvrage).
Les différentes sources davantage concurrentiel apparaissent alors clairement.
Dune façon ou dune autre, ces dernières se traduisent soit par une inflexion des coûts supportés par la firme, soit par un impact sur sa différenciation.
Ces deux types davantage concurrentiel, combinés au champ des activités sur lequel la firme sappuie pour les obtenir, définissent trois stratégies de base pour atteindre des résultats supérieurs à la moyenne du secteur. Il sagit de la domination par les coûts, de la différenciation et de la concentration de lactivité. Cette dernière est toutefois particulière dans la mesure ou elle repose sur lexploitation dun avantage concurrentiel (que ce soit par les coûts ou la différenciation) à lintérieur dune cible étroite.
Lauteur insiste fortement sur le danger quil y aurait à refuser de choisir entre ces trois stratégies de base. Selon lui, «lenlisement dans la voie médiane » conduit inévitablement à des résultats inférieurs à la moyenne du secteur, sauf à ce que tous les concurrents commettent cette même erreur. Cela ne doit pas empêcher une firme de réduire les coûts nentraînant pas de sacrifice sur la différenciation ni de saisir les opportunités de différenciation qui ne sont pas coûteuses. Simplement, au-delà de ces ajustements, elle doit choisir lavantage qui sera en définitive le sien.
Lobtention dun tel avantage nest possible quen exerçant les activités créatrices de valeur à un coût cumulé inférieur à celui des concurrents. La chaîne de valeur est donc là encore linstrument privilégié par lauteur pour mener son analyse. Elle permet en effet détudier les coûts liés aux activités créatrices de valeur et non à lensemble de la firme. Il devient alors possible dassocier les coûts et les actifs à ces activités. La comparaison qui en découle peut révéler des potentialités damélioration des coûts.
Cest toutefois lanalyse du comportement des coûts des activités, et donc de leurs facteurs dévolution, qui doit ici retenir lattention. Ces facteurs sont (selon lauteur) au nombre de dix : les économies déchelle, leffet dapprentissage, la configuration de lutilisation des capacités, les liaisons, les interconnexions, lintégration, le calendrier, les mesures discrétionnaires, la localisation et les facteurs institutionnels. Ces facteurs se combinent pour déterminer le coût de chacune des activités et par conséquent la position de la firme vis à vis de la concurrence.
Ce travail, réalisé sur la base de données statiques, se complète nécessairement dune étude de la dynamique des coûts. Il sagit cette fois de prévoir le sens de variation des facteurs dévolution et donc didentifier les activités dont les coûts croîtront ou diminueront.
En procédant de la sorte, une firme se donne les moyens de déterminer sa position relative à légard des coûts. La comparaison, même approximative, avec la situation de ses concurrents lui permet de choisir entre lobtention dun avantage par la maîtrise des facteurs dévolution des coûts et le remodelage de la chaîne de valeur (par une amélioration de la conception, de la fabrication, de la distribution ). Il est également possible de mener de front ces deux actions. Un avantage durable par les coûts ne peut dailleurs provenir que dune combinaison de telles mesures.
Enfin, il ne faut pas oublier que lavantage par les coûts ne conduit à des résultats supérieurs à la moyenne que si la firme offre une valeur acceptable au client.
La différenciation atteinte par une firme est la valeur quelle crée pour ses clients en répondant à tous les critères dachat.
Les sources de différenciation sont multiples. Elles ne résultent pas seulement des attributs du produit ou de la politique commerciale, mais de lensemble des activités de la chaîne de valeur, voire dactivités situées en aval. Il ne faut donc pas faire de confusion avec la notion de qualité, qui nest quune composante de la différenciation.
Le renforcement de la différenciation résulte de la multiplication des éléments dunicité ou de singularité dont bénéficie la firme. En fait, les liens entre la chaîne de valeur de lentreprise et celle du client sont autant de possibilités de différenciation.
Il reste toutefois à signaler la valeur ainsi créée. Le client ne paie en effet que pour une valeur perçue. Il peut même payer un surprix plus important pour une valeur plus faible, si celle-ci est mieux signalée. La réussite dune telle stratégie dépend donc autant de critères de signalisation (publicité, notoriété) que de ceux dutilisation (valeur réellement créée : qualité du produit, délai de livraison ).
La différenciation donne des résultats supérieurs à la moyenne quand la valeur perçue par le client dépasse son coût. Ce dernier est lié aux facteurs dévolution des coûts dans les activités qui engendrent lunicité de la firme. La performance sera dautant plus durable que les clients percevront en permanence le surcroît de valeur et que les concurrents ne pourront limiter. Il faut toutefois agir avec mesure et éviter une différenciation excessive, ou encore assimiler unicité et valeur créée.
D - Eléments influant à la fois sur lavantage concurrentiel et la structure du secteur
La technologie est le premier de ces éléments. Ce terme ne recouvre pas seulement les activités de recherche et de développement, mais lensemble des technologies utilisées par lentreprise, quelle que soit leur nature (il peut par exemple sagir dun ensemble de procédures). La chaîne de valeur va donc une nouvelle fois servir dinstrument danalyse. Son intérêt est dautant plus important quil existe des interdépendances considérables avec les technologies des clients et des fournisseurs. Le distinguo entre technologies « hautes » ou « basses » na par conséquent aucun intérêt ici. Seul compte en effet le lien entre technologie et concurrence.
Si la technologie a une influence directe sur les coûts ou la différenciation, elle intervient dans lavantage concurrentiel en modifiant les autres facteurs dévolution des coûts ou dunicité. Elle peut également peser sur chacune des cinq forces de la concurrence, en particulier au niveau des barrières à lentrée. Il convient donc de privilégier les technologies qui ont les effets durables les plus importants sur les coûts ou la différenciation, ce qui na rien à voir avec leur degré de sophistication.
Du fait de ce rôle majeur dans lobtention dun avantage concurrentiel, il faut également considérer lévolution de la technologie. En se donnant les moyens de lanticiper, une firme peut prendre les initiatives adéquates et donc sapproprier ou renforcer un avantage concurrentiel.
Ce travail de prévision repose le plus souvent sur le modèle du cycle de vie. En phase de croissance, les innovations portent principalement sur le produit. Une fois la maturité atteinte, lobjectif est de rationaliser une production en masse, doù des efforts centrés sur lamélioration des procédés de fabrication. Quand approche le déclin, les innovations se raréfient, les investissements technologiques atteignant le seuil des rendements décroissants.
Toutefois, il ne faut pas oublier que les prévisions portant sur la technologie doivent être considérées avec prudence, tant lincertitude est forte en ce domaine. Ce rappel vaut tout autant pour le choix des technologies à développer que pour la décision dêtre ou non précurseur, ou encore loctroi de licences dexploitation.
Le choix des concurrents est le deuxième élément à influer à la fois sur lavantage concurrentiel et la structure du secteur. Il sagit peut être là du chapitre le plus intéressant du livre dans la mesure où il va à lencontre de bien des idées reçues. Le raisonnement consiste en effet à dire que les concurrents peuvent renforcer la compétitivité de la firme et améliorer la structure du secteur. Il peut donc être préférable de renoncer délibérément à un accroissement de la part de marché. Les choses ne sont toutefois pas si simples, dans la mesure où il sagit là du comportement à adopter vis à vis des « bons » concurrents, tandis quil conviendrait de focaliser les attaques sur les « mauvais ».
Michael PORTER explique comme suit les avantages qui découlent de la présence de concurrents bien choisis.
Un tel concurrent peut dabord servir de bouclier à la firme, et ce de plusieurs façons. En absorbant les fluctuations de la demande, il permettra de conserver un niveau dactivité élevé malgré une détérioration de la conjoncture. En desservant des segments inintéressants, peu rentables, où les clients disposent dun pouvoir de négociation important. En ayant des coûts plus élevés, ce qui permet à la firme de dégager une marge accrue. En stimulant les capacités créatrices par le phénomène de base quest la compétition
Sur un plan plus global, la présence de concurrents permet déviter des poursuites pour position dominante, voire monopole (lexemple de Microsoft vient immédiatement à lesprit). Elle exerce surtout un effet dissuasif sur lentrée dune nouvelle firme. Elle rend en effet plus probable le déclenchement de représailles violentes à lencontre dun nouvel entrant. Celui-ci aura peut-être déjà été découragé par la situation médiocre des « bons » concurrents, qui sont une illustration des difficultés que connaissent les firmes de second plan.
Pour obtenir ces effets, il faut dabord déterminer les caractéristiques dun bon concurrent. Schématiquement, il doit être crédible et cohérent dans ses prises de décision, mais tout en souffrant de faiblesses dont il est conscient. Ceci limite ses ambitions, et donc le risque que ses actions aillent à lencontre de la stratégie de la firme, mais le conduit à adopter une stratégie qui renforce les éléments favorables de la structure du secteur. Evidemment, aucun concurrent nest « bon » à 100% !
(Le même raisonnement devra être mené par une firme qui nest pas en mesure de devenir leader. Elle devra en effet choisir un secteur contrôlé par un « bon » leader, cest à dire une entreprise dont la stratégie permettra de bénéficier dune protection derrière laquelle la firme pourra vivre et être rentable.)
La firme désireuse de se rapprocher dune telle configuration de la concurrence peut dabord mener une politique de dissuasion et de représailles collectives, ciblée sur les « mauvais » concurrents potentiels. A linverse, lentrée des « bons » concurrents sera facilitée par la conclusion daccords dapprovisionnement ou de distribution, voire la délivrance de licences dexploitation dune technologie.
Quels que soient les moyens employés pour y parvenir, lobjectif ultime en ce domaine est datteindre une part de marché suffisante pour décourager toute attaque et qui, combinée aux autres avantages concurrentiels, préserve léquilibre du marché.
E - Interactions avec le champ concurrentiel
Cette partie du livre examine linteraction entre le champ concurrentiel et lavantage détenu par la firme dans un secteur. Cela passe par les moyens de segmenter un secteur et les facteurs de remplacement dun produit.
La segmentation dun secteur vise à déterminer le champ concurrentiel de la firme et donc les segments quelle doit desservir.
Des différences entre produits engendrent des segments si elles modifient lintensité dune des cinq forces de la concurrence ou quand elles influent sur les conditions dun avantage concurrentiel. Les variables de segmentation sont : la variété du produit, le type de client, le circuit de distribution et la localisation géographique. La combinaison de ces variables permet détablir une segmentation globale du secteur. Prises deux par deux, elles conduisent à établir des matrices de segmentation.
Létape suivante concerne la stratégie concurrentielle, puisquil sagit de déterminer lattractivité de chacun des segments qui ont été définis. Elle est bien sûr fonction de lattrait structurel du segment (en mesurant les cinq forces de la concurrence), mais aussi de sa dimension, de sa croissance, de la position de la firme et des interconnexions (cest à dire des liens existant entre plusieurs segments pour lesquels des activités de la chaîne de valeur peuvent être mises en commun). Ce dernier point est absolument crucial.
En effet, de fortes interconnexions incitent à développer une stratégie correspondant à une cible large. Mais la mise en commun dactivités entraîne des coûts de coordination, de compromis (quand la chaîne de valeur nest pas optimale pour desservir tous les segments) et de rigidité. Il nest donc pas systématiquement intéressant de desservir tous les segments dun secteur. Dans ce cas, la décision se portera sur une stratégie de concentration par optimisation de la chaîne de valeur pour desservir un ou quelques segments.
Cette stratégie sera viable face à des concurrents à cible large si la chaîne de valeur optimale (adoptée par la firme) diffère sensiblement de celle requise pour desservir dautres segments. Par contre, face aux imitateurs, elle ne fonctionnera que si la firme bénéficie dun avantage concurrentiel durable résultant déconomies déchelle (même modestes et réalisées dans un petit segment, elles permettent de garder lavantage, surtout si elles ne peuvent être compensées par des interconnexions).
Le remplacement consiste à supplanter un produit ou une méthode de production en remplissant à sa place une ou plusieurs fonctions particulières. Cette définition est importante, dans la mesure où elle évite de commettre une erreur de méthode dans lidentification des produits de remplacement. Car cest bien par la recherche de produits ayant les mêmes fonctions génériques (cest à dire un rôle identique dans la chaîne de valeur du client), et non la même forme quil faut procéder.
Par ailleurs, les produits de remplacement ne sont pas toujours des produits différents. Le client peut par exemple ne rien acheter, en décidant de renoncer aux fonctions correspondantes. Le progrès technique, quant à lui, permet souvent de diminuer le taux dutilisation du produit. Le recours aux produits usagés, recyclés ou reconditionnés ne doit pas être négligé. Lintégration en amont (souvent par lachat direct auprès du fabricant) constitue le dernier mode de remplacement potentiel. Toutefois, les menaces de remplacement ne viennent pas seulement des produits de remplacement, mais aussi des remplacements en aval touchant directement le client. Un produit peut être affecté par la disparition dun produit complémentaire alors que lui-même ne subit aucune menace directe.
Le mécanisme de remplacement résulte de la combinaison de trois facteurs. Le premier est la comparaison entre la valeur et le prix du produit de remplacement avec celui du produit du secteur. Lauteur parle ici de rapport relatif entre la valeur et le prix (RRVP). Le deuxième facteur est représenté par les coûts de conversion nécessaires à ladoption du produit de remplacement (adoption de nouvelles sources dapprovisionnement, réapprentissage, risque déchec ). Le troisième est la propension du client à changer de produit (dépendant largement du profil de risque ou des remplacements antérieurs).
Lévolution de la menace est donc fonction des changements dans les prix relatifs, dans la valeur relative, dans la valeur perçue par les clients, dans les coûts de conversion et dans la propension à changer de produit.
Ces changements déterminent le cheminement du remplacement. Ce dernier débute à un rythme modeste, cest la phase « dinformation et dessai ». Vient ensuite la phase de « décollage »en direction dune limite supérieure constituée par le nombre de clients potentiellement intéressés, nombre qui peut bien sûr varier dans le temps en fonction de lévolution technologique.
Compte tenu de ce qui précède, une entreprise désireuse de lancer un produit de remplacement peut cibler ses efforts sur les clients les plus disposés à changer de produit, améliorer son offre dans les domaines où le RRVP est le plus élevé, réduire les coûts de conversion Inversement, la défense dun produit en place peut passer par la découverte de nouvelles utilisations sur lesquelles le produit de remplacement na pas deffet, réorienter la concurrence en léloignant des points forts du produit de remplacement, ou encore amener les distributeurs à contribuer à la défense.
De nombreuses erreurs peuvent être commises dans la lutte contre les produits de remplacement, mais la plus grave est sans doute celle qui consiste à tenir la maturité du produit comme acquise et donc son remplacement impossible.
Partie 2 - Interconnexions et stratégie horizontale
Lobjectif est ici de décrire la stratégie globale dune firme diversifiée. La question centrale concerne lexploitation des interconnexions entre les unités pour lobtention dun avantage concurrentiel.
A - Les interconnexions entre unités de lentreprise
Au cours des années 70, de nombreuses entreprises sétaient diversifiées en invoquant le prétexte de synergies entre leurs activités. Cette politique ne sest malheureusement pas avérée payante, sans doute à cause dun manque de discernement dans les acquisitions ou de labsence des outils danalyse nécessaire. Il en est résulté une nouvelle mode, celle de la décentralisation des activités.
Toutefois, les évolutions observées par Michael PORTER lont conduit à recommander ladoption dune stratégie horizontale. Il sagit de coordonner les divisions de la firme afin dapporter à cette dernière un avantage comparatif. Pour appuyer son raisonnement, lauteur se base sur quatre points. Premièrement, les années 1980 ont vu une transformation du mode de diversification : les acquisitions concernent des domaines connexes. Ensuite, la croissance ayant sensiblement ralenti, la priorité est donnée aux résultats, et par conséquent à lavantage concurrentiel. Dautre part, les progrès techniques facilitent lexploitation des interconnexions. Enfin, seule la stratégie horizontale offre la perspective globale nécessaire pour faire face à des concurrents multipolaires.
Pour parvenir à ces résultats, lauteur identifie trois types dinterconnexions, qui peuvent dailleurs coexister.
Les interconnexions tangibles correspondent au partage dactivités entre les unités de la firme. Elles peuvent concerner nimporte quelle activité créatrice de valeur et créer un avantage concurrentiel par une baisse des coûts ou une différenciation accrue. Elles entraînent toutefois des coûts de coordination, de compromis et de rigidité.
Les interconnexions intangibles voient le transfert dun savoir-faire entre les chaînes de valeur de deux unités. Impliquant la diffusion des mêmes compétences, elles conduisent souvent à luniformisation des stratégies de base. Il sagit néanmoins dun processus délicat, car le savoir-faire est une notion très subjective.
Les interconnexions de concurrence, enfin, existent quand une firme lutte contre des rivales diversifiées par lintermédiaire de plusieurs unités.
Les firmes diversifiées réaliseront difficilement une performance globale élevée par la simple optimisation des résultats de leurs différentes unités. Cette remarque vaut surtout pour les entreprises où les décisions sont largement décentralisées, ce qui nuit à lexploitation des interconnexions. En effet, les responsables des unités formulent alors leurs stratégies sans la moindre concertation et peuvent même avancer dans des directions incompatibles. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire dadopter une stratégie horizontale explicite.
Cette dernière requiert une formulation en plusieurs étapes. Il sagit dabord didentifier les interconnexions existantes, den trouver éventuellement à lextérieur de la firme, de déterminer celles de la concurrence et enfin dévaluer leur importance pour lavantage concurrentiel. Il devient alors possible délaborer une stratégie horizontale coordonnée visant à exploiter et renforcer les interconnexions les plus importantes.
Cest en procédant de la sorte quune stratégie de diversification peut accroître un avantage concurrentiel dans les secteurs déjà investis ou créer un avantage durable dans de nouveaux secteurs.
Il faut toutefois rester prudent dans la recherche des interconnexions. Il ne faut ni les négliger, ni simaginer que la moindre ressemblance superficielle dans la technologie ou les procédures est une interconnexion potentielle.
Par ailleurs, même des interconnexions offrant un réel intérêt peuvent se révéler difficiles à mettre en place. Cest le cas quand les avantages procurés ne sont pas (ou ne semblent pas) répartis de manière égale entre les unités. Les responsables de ces dernières peuvent aussi craindre une perte dautonomie, surtout si la culture répandue dans lentreprise jusquà présent a été une décentralisation poussée, avec une identité propre à chaque division.
Pour venir à bout de ces entraves et de ces résistances, lauteur propose la mise en place dune organisation horizontale. Celle-ci relie entre elles les unités dans le cadre dune structure verticale et facilite donc les interconnexions. Cette organisation repose sur quatre éléments. La structure horizontale correspond à un découpage transverse dans certains domaines, au regroupement dunités ou à une centralisation partielle. Les systèmes horizontaux concernent la gestion transverse de la planification, du contrôle et du choix des investissements. Les pratiques horizontales des ressources humaines sont destinées à faciliter la coopération. Enfin, des structures horizontales de résolution des conflits peuvent se révéler nécessaires. La combinaison de ces éléments horizontaux et dune structure verticale (sans correspondre pour autant à une structure matricielle) semble suffisamment novatrice à lauteur pour parler dune nouvelle forme dorganisation.
C - Les produits complémentaires
Il sagit dun cas particulier dinterconnexion, un produit étant utilisé pour en compléter dautres. Les produits complémentaires sont donc une forme de liaison entre secteurs. Leur existence nécessite un choix entre trois pratiques.
Le contrôle direct des produits complémentaires voit la firme offrir la gamme complètes des produits complémentaires. Il peut renforcer un avantage concurrentiel en tirant parti des interconnexions ou dune différence accrue grâce à une offre complète. Malheureusement, il nexiste pas toujours dinterconnexions, ou certains des secteurs concernés peuvent ne pas être attrayants. Quoi quil en soit, les produits complémentaires sont le plus souvent si nombreux que la seule solution consiste à se concentrer sur les plus stratégiques dentre eux.
Le bottelage correspond, lui, à la vente de produits complémentaires exclusivement sous forme de blocs. Constituant une réponse unique quels que soient les besoins des clients, cette pratique est sous-optimale. Les interconnexions et laccroissement de la différenciation peuvent certes la rendre intéressante. Néanmoins, le risque demeure que les clients soient capables de réunir eux-mêmes les lots auprès de firmes spécialisées offrant les articles à des conditions plus favorables. Or ce risque a tendance à augmenter au fur et à mesure que les clients acquièrent la maîtrise de la technologie et donc la capacité dacheter élément par élément.
La subvention croisée, enfin, voit la firme vendre un produit de base à des conditions facilitant la vente de produits complémentaires plus rentables. Cela suppose une sensibilité au prix élevée pour le produit de base, mais faible pour le bien rentable, ainsi quun lien étroit entre les deux. Bien sûr, le client risque de nacheter que le produit de base, tandis que les conditions évoquées plus haut peuvent disparaître avec lévolution du secteur. Dans ce cas, lentreprise doit être prête à abandonner le subventionnement croisé.
Partie 3 - Implications stratégiques
Lauteur achève cet ouvrage en développant les impacts des raisonnements qui précèdent sur la stratégie concurrentielle. Il donne ainsi quelques éléments sur le traitement de lincertitude, ainsi que sur les stratégies offensives et défensives.
A- Le rôle des scénarios sectoriels
Jusque dans les années 1980, les scénarios élaborés par les firmes mettaient laccent sur les facteurs macroéconomiques et macropolitiques. Toutefois, de tels macroscénarios ne sont pas pertinents pour lanalyse dun secteur particulier. Cest ainsi quest né le besoin de scénarios sectoriels.
La démarche visant à obtenir une vision cohérente de ce que pourrait être lavenir comprend plusieurs étapes. Il sagit dabord didentifier les incertitudes susceptibles dinfluer sur la structure du secteur et den déterminer les facteurs causals. Les hypothèses portant sur ces derniers sont ensuite combinées pour aboutir à des scénarios cohérents. Il reste alors à analyser les implications de chacun des scénarios (structure du secteur, sources davantage concurrentiel ou comportement des concurrents). Il existe bien sûr des boucles de rétroaction entre ces différentes phases.
Une fois les scénarios élaborés, cinq solutions soffrent à lentreprise. Elle peut parier sur le scénario le plus probable ou celui qui lui est le plus favorable. Elle peut aussi choisir une stratégie viable quel que soit le scénario qui se réalise (mais un tel compromis nest jamais optimal) ou une qui permette de conserver suffisamment de flexibilité jusquà ce que lun des scénarios se concrétise. La dernière solution est duser de ses ressources pour favoriser la concrétisation de lun des scénarios.
Ces solutions nétant pas incompatibles entre elles, il est parfois intéressant de les combiner ou de passer de lune à lautre.
Une stratégie visant à se défendre face à un nouvel entrant est évolutive. Elle correspond en effet au degré davancement de ce dernier dans son plan de conquête.
Ainsi, il commence par réaliser des études, afin de mieux connaître son futur marché. Puis vient la phase dentrée proprement dite, accompagnée dinvestissements destinés à se constituer une position viable. Il enchaîne ensuite avec lapplication de sa stratégie de long terme. La période postérieure à lentrée, enfin, se traduit par des investissements visant à consolider sa position.
Plus la démarche de lentrant est avancée, plus les obstacles à la sortie sont élevés (à cause des efforts financiers consentis) et plus la stratégie défensive sera coûteuse. Les tactiques défensives les plus efficaces seront donc celles qui décourageront les tentatives, plutôt que celles visant à chasser une firme ayant largement entamé son processus. Cela passe par un renforcement des barrières à lentrée (en comblant les vides existant dans la gamme, en augmentant les coûts de conversion pour les clients ou en accroissant les besoins en capitaux ) ou par un accroissement de lattente dune riposte (en signalant la volonté de se défendre, en montrant clairement les obstacles possibles, en accumulant des ressources). Il est également possible de réduire les incitations à attaquer grâce à une réduction du profit du secteur.
Quoi quil en soit, la meilleure stratégie défensive consiste à dissuader toute attaque. Si elle échoue, il faudra certes passer à une stratégie de réaction, mais en ayant toujours pour objectif daltérer la perception que le nouvel entrant peut avoir du secteur et de ses chances de réussite.
Une stratégie offensive ne doit surtout pas consister en une politique dimitation du leader, mais au contraire reposer sur un avantage concurrentiel durable (que ce soit au niveau des coûts ou de la différenciation). Par contre, il lui faudra être proche du leader dans les autres activités créatrices de valeur. Dans le cas contraire, son avantage concurrentiel ne suffira pas à compenser celui du leader.
Dans la pratique, lattaquant peut opérer de trois manières.
Le remodelage de la chaîne de valeur lui permet dexercer différemment certaines activités. Cette solution est viable si elle se révèle difficilement imitable pour le leader.
Une redéfinition du champ concurrentiel se traduira soit par un élargissement visant à exploiter des interconnexions, soit par un rétrécissement pour ne plus desservir quune cible particulière avec une chaîne de valeur optimisée.
Ces deux premières stratégies offrent lintérêt de souvent entraver la réplique du leader, en obligeant ce dernier à aller à lencontre de sa stratégie habituelle pour se défendre.
La surenchère dans la dépense, enfin, est la plus simple à concevoir, mais aussi la plus risquée.
Quelques commentaires en guise de conclusion
Si Michael PORTER est toujours une référence dans le domaine de la stratégie, deux remarques viennent inévitablement à lesprit du lecteur.
La première est relative aux chapitres concernant la stratégie horizontale et les interconnexions. Le choix de structures horizontales pour une meilleure coordination nest peut être plus appropriées aujourdhui. Il est vrai que la théorie des organisations est sujette à des effets de mode et que celle-ci a probablement évolué depuis 1985.
La deuxième remarque tient plus de la critique. En effet, cet ouvrage ressemble parfois à un condensé de théories connues dont PORTER aurait oublié de citer les noms. La démarche quil propose, par exemple, nest jamais quune formalisation du paradigme S-C-P : une analyse de lenvironnement conduit au choix dune stratégie de base qui donnera (si tout va bien) des résultats supérieurs à la moyenne du secteur. Il en va de même pour certaines des stratégies proposées dans la dernière partie. BAIN parlait déjà en 1956 des barrières à lentrée. De même, les tactiques visant à accroître lattente dune riposte par un signalement des intentions ou laccumulation de ressources ressemble étrangement à la typologie « Gros matous et petits chiots » de FUDENBERG et TIROLE, datant de 1984.
Pour toute réponse, lauteur concède que toutes les disciplines de la gestion concourent à la création dun avantage concurrentiel, et que par conséquent de nombreux auteurs peuvent avoir influencé ces travaux.
De toute façon, un auteur connaissant un tel succès ne peut que susciter de nombreuses critiques. Citons labsence de définition claire de ses modèles ou le manque de données empiriques pour appuyer ses affirmations. Certains vont même jusquà affirmer que ses travaux ne plaisent que parce quils séduisent le lecteur par la présence de quelques idées stéréotypes simples à comprendre, à lexemple de « lenlisement dans la voie médiane ». Peut être nont-ils pas entièrement tort